J’ai senti, depuis longtemps, l’envie de m’inscrire dans un paysage, de me fondre dans un espace. Quand j’étais enfant, je laissais ou plutôt dissimulais dans une anfractuosité d’une roche, le creux d’un arbre, quelque chose que je possédais et que j’avais dans mes poches. Je faisais une offrande à ce lieu qui avait fait naître en moi des émotions. Je me demandais si j’allais retrouver l’objet caché, quelques années plus tard.
D’autres fois, j’inscrivais avec mes crayons de couleur qui désormais ne me quittaient plus, sur un rocher, l’écorce d’un arbre ou un vieux mur envahi de mousse, mes initiales ou une petite phrase relatant ma conquête du lieu.
Petit, je me baladais sur les rivages d’Alexandrie. Je ramassais des coquillages, des bouts de verre dépolis par les vagues et le temps, des sacs en plastique aussi, de toutes les couleurs sur lesquels il y avait des inscriptions, des signes et bien d’autres choses encore. Je ramenais tout cela à la maison. Mon père, après inspection de ma collecte disait « … ce sac vient de très loin, le courant l’aura amené jusqu’ici… ». J’étais fier de l’avoir trouvé.
Plus tard, après l’exil de mes parents pour le Liban, conséquence du grand tumulte propageant ses ondes destructrices dans la région, je me lançais à la découverte de nouveaux territoires. J’arpentais le bord de mer, jouais avec les vagues et tentais de percevoir les échos d’une ville lointaine. Les goélands me répondaient de leurs cris sardoniques et nostalgiques.
Il m’arrivait aussi de m’aventurer dans les vallons encaissés du Mont-Liban qui dégringolent en cascades depuis leurs sommets où pousse le cèdre millénaire, jusqu’aux rivages phéniciens. Là, envahi par la végétation luxuriante, je tombai nez à nez face à un signe mystérieux gravé au pied d’une paroi rocheuse. Une intense émotion me prit à l’idée de savoir qu’un humain, à une époque reculée faisait exactement la même chose que ce que je faisais et continue à faire. J’étais émerveillé, un fil ténu me reliait à une ancienne civilisation disparue, ou peut-être encore secrètement en vie, cachée dans ces vallons inaccessibles.
J’erre sur le rivage, m’imprègne de cette frontière fluide entre terre et mer, puise de l’eau, glane quelques algues et végétaux, enregistre les vagues, le vent et les caprices du hasard. Des couleurs attirent mon attention, ce sont des sacs en plastique et autres débris naufragés sur le rivage, pacotilles de nos vies.
Je ramène tous ces éléments dans mon atelier. Là, c’est à leur tour de se fondre dans mon espace, de s’inscrire dans mon paysage, et de se transformer en cristallisation marine. »
Souheil 2015